Article d'Arlette Zilberg, Co-fondatrice des CitadElles dans les Cahiers Bernard Lazare (Série de Mars 2023).
Le 16 septembre dernier le meurtre de Masha Amini, jeune femme kurde de 22 ans, par la police des mœurs et pour « mauvais port du voile », a mis le feu aux poudres en Iran et dans la diaspora iranienne. Au slogan « A bas le dictateur » des manifestations de 2009 et 2019, s’est ajouté le slogan des combattantes kurdes contre Daesh, « Femme, Vie, Liberté ».
Depuis, pas une nuit sans que des vidéos ne nous parviennent, montrant des manifestations en Iran, des jeunes femmes déambulant cheveux au vent, et ce malgré la répression sanglante du régime des mollahs. Plus de 527 manifestants dont 71 enfants ont été tués selon Human Rights Activists New Agency, et 20 000 personnes seraient détenues dans les sinistres geôles de l’ayatollah Khamenei, où tortures et viols sont légions et systémiques : l’hidjab sert de bâillon, le viol empêcherait les femmes d’aller au paradis !
Mais ce qui a le plus surpris la communauté internationale, c’est le rôle des jeunes femmes dans le déclenchement de ce qui semble participer à un processus révolutionnaire, si ce n’est une révolution.
Bientôt le 8 mars 2023, journée internationale de lutte pour les droits des femmes. Comment ne pas s’interroger sur le « difficile » soutien apporté par la « gauche » et les « nouvelles féministes » à la lutte des Iraniennes, rejointes par tout un peuple ? Pour cela, il nous faut revenir sur la révolution islamique de 1979 et la propagande islamiste qui s’est répandue en Occident.
Nous sommes à la veille du 8 mars 1979, et Khomeiny, Guide suprême, annonce l’avènement du port du voile obligatoire. Du 8 au 13 mars, des dizaines de milliers de femmes descendent dans la rue pour protester. Mais la gauche iranienne, aveuglée par l’anti impérialisme et l’anti capitalisme, n’a pas vu ce que révélait l’obligation du port du voile, n’a pas soutenu les manifestantes. Quant à la gauche française, sous influence du tiers-mondisme, elle a détourné le regard quand elle n’a pas apporté son soutien à la révolution islamiste qui se déroulait sous ses yeux. Rappelons que Michel Foucault rendit visite à Khomeiny réfugié à Neauphle-le-Château, fut fasciné par sa personnalité et même enthousiasmé par la Révolution islamique en Iran. Il reconnut plus tard son erreur. Mais la fascination pour la révolution iranienne perdura dans la gauche française qui ferma les yeux sur la dictature qui s’était mise en place.
Pour ce qui concerne les féministes dites « occidentales », une délégation fit le voyage à Téhéran en mars 1979 pour y enquêter et apporter leur soutien aux Iraniennes. Elles se divisèrent notamment sur la question du port du voile, et ce malgré les mises en garde de Simone de Beauvoir le 22 mars : « … que cette révolution-ci fasse exception ; que la voix de cette moitié du genre humain, les femmes, soit entendue. Le nouveau régime ne sera lui aussi qu’une tyrannie s’il ne tient pas compte de leurs désirs et ne respecte pas leurs droits ». La tyrannie se mit en place, avec le soutien de l’immense majorité de la société iranienne. Les opposants royalistes ou de gauche et d’extrême-gauche furent liquidés quand ils n’avaient pu fuir. Les exilés furent réduits au silence par un Etat qui les a pourchassés et terrorisés, jusque dans les pays d’accueil, et encore aujourd’hui : Chapour Bakhtiar fut assassiné à Suresne en 1991, Masih Alinejad a échappé à plusieurs tentatives d’attentats aux USA, et Salman Rushdie, immense résistant, vient d’échapper à la mort.
Or dès la révolution de 1979, alors que nous assistions atterrées, à des reportages relatant les immenses manifestations de femmes en tchador brandissant les portraits de Khomeiny, des débats agitaient la sphère intellectuelle en Occident sur la révolution iranienne.
Quarante ans plus tard, les images de ces jeunes femmes aux longs cheveux, de dos, sans voile, faisant un doigt d’honneur au portrait des guides suprêmes nous réjouissent, et forcent notre admiration.
Elles nous réjouissent parce qu’elles sont le désaveu de cette petite musique qui s’est répandue, insinuant que les femmes iraniennes étaient plus libres que nous en Occident et que les mots liberté, émancipation, égalité, n’avaient pas le même sens, selon les cultures. Que n’entendons-nous répéter que le mot laïcité est une invention et réalité à la française ! Je peux personnellement témoigner des débats en cours dans les années 2000 chez les Verts, concernant l’affaire du foulard de Creil et la loi de 2004 sur les signes ostentatoires à l’école. Il y eut même des cadres des Verts pour oser affirmer : les femmes iraniennes sous leurs tchadors sont plus libres et émancipées que les françaises, la preuve étant que les publicités pornographiques en France étaient inexistantes en Iran, et qu’il y avait 50% de femmes dans les universités iraniennes.
Sauf qu’après l’université, l’immense majorité des femmes rentraient à la maison, faute d’emplois pour les femmes, et fonction reproductrice oblige.
Sauf qu’en 2003, Marjane Satrapi avait déjà publié Broderies, Azar Nafisi Lire Lolita à Téhéran, et que nous savions comment la révolution islamique avait privé les Iraniennes de liberté.
Celles et ceux qui nous reprochaient une « vision occidentale » des droits des femmes ne réalisaient pas que ce-faisant, ils et elles répandaient en France la propagande du régime des mollahs et de l’islam politique.
En 2017, les images venues d’Iran de femmes brandissant des voiles accrochés au bout d’un bâton, telle la photo de Vida Movahed, et aujourd’hui de voiles jetés à terre voire brûlés, ont conforté le sens que nous donnions au voilement des filles et des femmes, et validé l’idée que le voile n’a rien à voir avec une identité culturelle ou religieuse, mais tout à voir avec la politique. Ces images sont d’autant plus les bienvenues que la propagande islamiste a gagné du terrain dans les pays musulmans et en Occident, avec la complicité de certains cercles militants, malgré la faillite démocratique, sociale et économique du modèle iranien, du modèle afghan, ou de l’Algérie.
Il faut reconnaître que nous avons fort à faire avec le prosélytisme islamiste porté aussi par les Frères musulmans et ses officines et par des Etats comme le Qatar. Il aura fallu que des plaintes pour viols soient instruites contre Tariq Ramadan pour démasquer l’imposture de celui qui était présenté par la gauche et les Verts comme un musulman moderne progressiste anticapitaliste anticolonial prônant une théologie de la libération, dénonçant le racisme d’un Etat français « islamophobe ». Rappelons qu’il conseille le port du voile, manifestation de la pudeur et de la modestie des femmes, et outil de protection contre les agressions sexuelles. Tartuffe !
Et que dire des théories décoloniales et post modernes qui ont colonisé une partie des universités où le « genre » et l’intersectionnalité ont fini par supplanter puis effacer les mots « femme » et « sexe féminin » ? Que faire face au media en ligne qatari AJ+ destinée à la jeunesse française, et où la propagande pro-voile est servie quotidiennement sous couvert d’inclusivité, de combat antiraciste contre « l’islamophobie », et d’instrument de lutte décoloniale ?
Oui, les féministes universalistes et laïques ont prêché dans le vide depuis 1979, supplantées par celles qui au mieux rétrécissent le champ du féminisme à une addition de discriminations, et au pire imposent comme critère de validation suprême, l’intersectionnalité.
Lorsque les Iraniennes ont jeté à terre leurs voiles, que la jeunesse a joué à faire tomber le turban des mollahs, a fait des doigts d’honneur aux guides suprêmes, nous avons applaudi. Enfin des femmes de pays musulmans montraient massivement que le voile était un instrument d’oppression politique et n’avait rien à voir avec une identité culturelle ou religieuse. Nos analyses sur l’incompatibilité du voile avec les droits fondamentaux des femmes car symbole de discrimination, d’oppression politique, d’apartheid sexuel, étaient validées et insoupçonnables de racisme.
Depuis cinq mois en Iran, les jeunes femmes dévoilées défient le régime des mollahs, au risque d’être arrêtées, emprisonnées, torturées et violées parce qu’elles s’attaquent à la colonne vertébrale du pouvoir patriarcal.
Souhaitons que le rejet du voile par les Iraniennes, et leurs combats pour la liberté feront avancer ici la réflexion des « féministes » paralysées à l’idée d’être taxées de racistes ou « d’islamophobes ». Comment ne pas voir qu’en détournant le regard, elles font le lit de la suprématie de l’identitaire politico-religieux sur l’universel alors qu’elles clament être dans le combat antiraciste ?
Souhaitons que nos islamo-gauchistes qui ont favorisé pendant des décennies la progression des islamistes en Occident comprennent que la démocratie, la liberté, l’égalité, la laïcité sont des valeurs universelles et non pas un décorum du capitalisme.
Souhaitons que le slogan Femme, Vie, Liberté soit un formidable tremplin pour le renouveau du féminisme en France.
Pour votre courage et votre bravoure, pour votre démonstration que le féminisme islamique est une belle imposture et que la liberté n’est pas dans le voile, pour vos combats Merci les Iraniennes !
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