Conférence organisée par l'Institut Emilie du Châtelet accueillie par le CNAM : "Viols et violences sexuelles comme arme de guerre : Comment sortir de l'invisibilisation et de l'impunité".
Avec Galina Elbaz, avocate, Arlette Zilberg militante féministe et Céline Bardet, juriste, spécialiste des crimes de guerre et enquêtrice internationale.
Arlette Zilberg, porte-parole des CitadElles a rappelé combien les luttes féministes ont permis des avancées sur la question du viol, sa définition, et son traitement pénal. Il n'y a pas si longtemps, le champ lexical qualifiant le viol - atteinte à l'honneur de la femme ou de la famille, virginité..., renvoyait aux canons d'une société patriarcale...
En 1978, suite au procès d'Aix où Gisèle Halimi a défendu deux jeunes femmes violées car elles avaient refusé des avances en plus d'être lesbiennes, le viol, considéré comme atteinte à la pudeur, fut enfin reconnu comme crime, donc passible des assises.
Mais la question du déni et de l'invisibilisation reste encore très prégnante aujourd'hui. La reconnaissance du viol demeure difficile.
L'amnésie traumatique, la question des preuves, des difficultés pour les victimes à parler, complique la qualification de l'acte, et de ce fait son traitement juridique, déjà en temps de paix.
Or en temps de guerre les difficultés sont accrues.
Et reste que si un viol est un viol, la justice doit en déterminer les circonstances pour le qualifier pénalement . En temps de guerre, il faudra aussi déterminer si le viol a été prémédité, systématisé, suivi ou précédé d'un assassinat et de mutilations, et avec quel objectif : semer la terreur, nettoyage ethnique, génocide, crime de guerre, crime contre l'humanité ? De l'accueil des survivantes par l'entourage et la société dépendra probablement la parole des survivantes et la résilience. Arlette conclura en soulignant que l'invisibilisation, le déni, l'impunité des violences sexuelles comme arme de guerre dans les zones de conflit, ont des conséquences sur la façon dont elles sont traitées ici en France.
Galina Elbaz, vice-présidente de la LICRA, revient sur la question des viols et violences sexuelles en temps de guerre et leur traitement juridique. Elle note que souvent les Etats ne veulent pas traiter cette question. Ce qui constitue un frein au recueil de la parole des victimes.
Un viol arme de guerre ne se situe pas dans le même contexte qu'un viol privé. C'est souvent un viol de masse, le plus souvent public, avec torture, volonté d'humilier l'ennemi, et de marquer le corps des femmes comme on marque un territoire.
Il est donc une arme de guerre. Mais il n'a pas de qualification juridique.
Le viol de masse peut aussi avoir des visées génocidaires dans la volonté de modifier un groupe ethnique pour le détruire, comme cela s'est pratiqué en ex-Yougoslavie et plus récemment envers les Yézidis. Il y a une idéologie derrière. La question de l'intentionnalité doit être prise en compte.
Galina souligne aussi combien la question du racisme est croisée avec le fait que ces violences sexuelles ont peu de retentissement quand elles se font sur certaines populations. Invisibilisation et impunité sont liées.
Céline Bardet a créé l'ONG "We are not Weapons of War" qui vise à sensibiliser aux violences sexuelles liées aux conflits au niveau national et international. Elle a travaillé au Rwanda, en Bosmie, en Ukraine ..., et en Israël : elle prépare un rapport pour l'ONU sur les violences du 7 octobre par le Hamas, à paraître dans quelques jours.
Elle rappelle que le viol est une prise de pouvoir sur l'autre. Le viol avec extrême violence est une arme à déflagration multiple. Elle a des conséquences sur l'environnement de la victime. On peut le constater par exemple en RDC où il détruit les familles et les sociétés. La singularité des violence sexuelles est d'ordre sociétal.
Céline témoigne de la difficulté pour l'enquêtrice qu'elle est, de récolter les preuves des violences sexuelles, ainsi que les témoignages des survivantes; celles-ci peuvent mettre des années avant de parler. Et comment récolter des preuves quand il n'y a pas de rapports médico-légaux comme par exemple au Rwanda ou que les corps ont été calcinés comme récemment le 7 octobre en Israël ?
Il faut alors plus de présence du juridique sur ces questions. Il a été souligné que la question peut être parfois polarisée, idéologisée et empêche alors de travailler sur ces sujets Ainsi des violences sexuelles du 7 octobre en Israël.
Nos conclusions à ce jour :
Si, de même qu'un mort est un mort, un viol est un viol, ne pas considérer le contexte et le motif qui s'y attache, empêche le traitement juridique adapté. Ce que la philosophe Monique Canto-Sperber appelle "l'équivalentisme", est la tendance actuelle à considérer ces crimes comme équivalents, de même nature. C'est une simplification dangereuse qui nie les fondements du droit et de la justice. On ne peut pas traiter de la même façon les viols privés et les viols à visée génocidaire, ces derniers relevant à minima de crimes contre l'humanité.
Ce sont précisément les motifs derrière les violences sexuelles qu'il faut révéler pour que cesse l'invisibilisation et l'impunité de ces crimes.
aux violences sexuelles liées aux conflits, au niveau national et international
Commenti